Projets de réforme de la LPP : compromis ou compromission ?

 
Swiss Risk & Care - prévoyance professionnelle - compromis ou compromission - pion bicolore sur un jeu d'échec
 

Deux projets de révision de la prévoyance professionnelle ont été présentés au Conseiller fédéral Alain Berset le 2 juillet 2019. Ils émanent des organisations faîtières nationales des partenaires sociaux divisées sur ce sujet complexe. Tandis que le projet de l'Union syndicale suisse (USS), de Union patronale suisse (UPS) et de Travail.Suisse fait un pas vers le démantèlement de la LPP au profit de l'AVS, celui de l'Union suisse des arts et métiers (USAM) respecte le principe de capitalisation sur lequel se fonde le 2e pilier. Présentation des deux propositions.

Le peuple suisse a déjà eu, à deux reprises, l’occasion de s’exprimer sur la question d’un abaissement du taux de conversion minimal LPP. Il a dit non une première fois le 7 mars 2010 à la modification de la LPP du 19 décembre 2008 instituant une baisse progressive à 6.4% du taux de conversion minimal. Le peuple a réitéré son refus le 24 septembre 2017 en rejetant la réforme Prévoyance 2020 qui prévoyait notamment une baisse du taux de conversion minimal par étapes à 6%. C’est ainsi qu'en avril 2018 les organisations faîtières nationales des partenaires sociaux - USS, Travail.Suisse, USAM et UPS - ont été chargées par le Conseiller fédéral Alain Berset d’élaborer un projet d’adaptation de la LPP à l’évolution du contexte démographique et des marchés financiers.
 
Après avoir examiné différents modèles, l’USS, Travail.Suisse et l’UPS se sont entendues sur une approche commune alors que l’USAM a décidé de proposer sa propre vision de réforme de la LPP. Ces deux projets ont été présentés officiellement le 2 juillet 2019.

Quelle suite pour le projet de révision de la prévoyance professionnelle ?

La balle est maintenant dans le camp de l’Administration qui procèdera déjà à certaines modifications. Puis viendra la procédure de consultation qui permettra de déterminer si une majorité favorable au projet se dessine. Enfin commenceront les débats au Parlement pendant lesquels le projet sera vraisemblablement largement modifié. Une entrée en vigueur de la réforme au plus tôt en 2021 mais plus vraisemblablement en 2022 est prévisible.

Les mesures du plan de réforme des partenaires sociaux

Aussi dénommé "projet majoritaire", le plan de réforme des partenaires sociaux (UPS, USS, Travail.Suisse) comprend principalement les points suivants :

  • Baisse du taux de conversion minimal à 6.0% en une seule fois au moment de l’entrée en vigueur de la révision de la LPP. Alors que les précédentes propositions prévoyaient une baisse par étapes du taux de conversion minimal, le projet prévoit une réduction en une seule étape de ce taux de 6.8% actuellement à 6%. Bien évidemment, cette mesure ne concerne que le régime minimum LPP et non la prévoyance surobligatoire dans laquelle ce taux peut être fixé librement par les institutions de prévoyance pour autant que les prestations minimales LPP soient garanties.
  • Mesure de compensation : versement d’un supplément de rente sous forme de montant fixe en faveur des futurs bénéficiaires de rentes du 2ème pilier. Ce supplément est financé paritairement via le prélèvement d’une cotisation de 0.5% sur les salaires soumis à l’AVS jusqu’au plafond de CHF 853'200 par an. La cotisation est prélevée sur tous les rapports de prévoyance au sens de l’article 1 LFLP et le taux de cotisation est réglé par la loi. Le Conseil fédéral est compétent pour fixer chaque année le montant du supplément de rente. Afin de maintenir le niveau des rentes actuelles, des suppléments de rente à vie sont garantis pour une génération transitoire de 15 ans à compter de l’entrée en vigueur de la révision selon le mécanisme suivant :
- Supplément de rente à vie de CHF 200 par mois pour les 5 premières années de la génération de transition
- Puis, CHF 150 par mois pour les 5 années suivantes
- Puis, CHF 100 par mois pour les 5 dernières années
- Ensuite, l’octroi d’un supplément de rente garanti n’est plus nécessaire. En lieu et place, le Conseil fédéral fixera un montant de supplément de rente par année civile.
 
La mise en œuvre de cette mesure est confiée au Fonds de garantie LPP qui recueille les cotisations prélevées par les institutions de prévoyance auprès des employeurs affiliés, lesquels prennent à leur charge au moins 50% des cotisations. Le Fonds de garantie LPP administre ces cotisations et verse les prestations aux institutions de prévoyance respectives.
 
Selon notre compréhension, le supplément de rente est versé à tous les futurs bénéficiaires d’une rente 2ème pilier et pas seulement à ceux qui sont soumis exclusivement à un plan minimum LPP moyennant le respect des conditions suivantes :
 
- Avoir été assuré dans la LPP pendant au moins 15 ans
- Avoir été soumis à l’AVS en Suisse de manière ininterrompue pendant les 10 dernières années avant de toucher le premier supplément de rente.
 
Le Conseil fédéral, en concertation avec les partenaires sociaux, rédige un rapport au moins tous les 5 ans. Il y indique les bases pour la fixation du taux de conversion minimal et du montant du supplément de rente.
 
Par cette mesure, les partenaires sociaux proposent d’introduire dans la prévoyance professionnelle une composante de répartition durable permettant de maintenir le niveau des rentes pour la génération de transition qui s’accompagne aussi d’une amélioration sensible des rentes pour les revenus moyens et faibles ainsi que pour les salariés à temps partiel.
 
On peut regretter ici que le projet ouvre une brèche importante dans le principe des 3 piliers qui a fait ses preuves en introduisant de manière pérenne une allocation de supplément de rente distribuée selon le principe de l’arrosoir. Or, ce régime de distribution est étranger au système basé sur la capitalisation sur lequel repose le 2ème pilier. Cela pourrait constituer un premier pas vers le démantèlement de la prévoyance professionnelle au profit de l’AVS.
 
Par ailleurs, en prévoyant le prélèvement d’une cotisation de 0.5% sur les salaires soumis à l’AVS jusqu’au plafond de CHF 853'200 par an, le projet augmente encore les charges qui pèsent sur les salariés et les entreprises qui subiront déjà une hausse avec l’entrée en vigueur de la Loi fédérale relative à la réforme fiscale et au financement de l’AVS (RFFA) au 1er janvier 2020 (+0.3% des salaires AVS). Ce faisant, le projet réduit le pouvoir d’achat des salariés et les ressources des entreprises pour investir en provoquant un renchérissement des services et des produits diminuant d’autant la compétitivité des entreprises suisses, ce qui est préjudiciable à la place économique suisse.
  • Réduction par moitié de la déduction de coordination légale qui passe de CHF 24’885 à CHF 12'443 par an. Cette mesure a pour conséquence une augmentation immédiate du salaire assuré. Sur le long terme, cela améliorera la prévoyance professionnelle des salariés et plus particulièrement de ceux qui travaillent à temps partiel.
  • Rééchelonnement des taux de bonifications de vieillesse. Actuellement, les assurés sont répartis dans quatre classes d’âge avec des taux de bonifications de vieillesse croissants :
- 25-34 ans : 7%
- 35-44 ans : 10%
- 45-54 ans : 15%
- Dès 55 ans : 18%
 
Avec le projet, ne subsisteraient que deux classes :
 
- 25-44 ans : 9%
- Dès 45 ans : 14%
 
L’abaissement du taux de bonifications de retraite des seniors aurait le mérite de ne pas renchérir leurs coûts salariaux sur le marché du travail et donc de ne pas prétériter leurs chances d’embauches par rapport aux plus jeunes. De ce point de vue-là, on peut se poser la question de savoir si les partenaires sociaux n’auraient pas dû oser proposer un seul et unique taux de bonifications de retraite pour toutes les classes d’âge afin de mettre un terme à toute discrimination entre travailleurs jeunes et âgés en termes de charges liées à la prévoyance professionnelle pour les employeurs.
 
Par ailleurs, on relèvera qu’avec l’échelle de bonifications actuelle, un assuré se voit créditer 500% du salaire assuré sur toute sa carrière (10x7% + 10x10% + 10x15% + 10x18%) alors qu’avec la nouvelle échelle, on aboutirait seulement à 460% (20x9% + 20x14%) dès lors même que le taux de conversion serait réduit de 6.8 à 6%. Seule la réduction par moitié de la déduction de coordination légale viendrait donc compenser ces diminutions.
  • Suppression des subsides pour structures d’âge défavorables pour les employeurs du fait de la correction significative des bonifications de retraite pour les assurés dès 45 ans.

Les coûts supplémentaires de ce projet s’élèvent à 2.7 milliards de francs par an ou 0.9% de la cotisation salariale totale1.

 
1Chiffres de l’UPS, l’USS et Travail.Suisse

Le projet de l'USAM se distingue fondamentalement de celui des partenaires sociaux car il respecte le principe de capitalisation sur lequel se fonde la prévoyance professionnelle. Voici les mesures envisagées :

  • Abaissement du taux de conversion minimal à 6.0% en seule étape lors de l’entrée en vigueur de la réforme.
  • Augmentation des bonifications de vieillesse :
- 25-34 ans : 9% (actuellement 7%)
- 35-44 ans : 14% (actuellement 10%)
- 45-54 ans : 16% (actuellement 15%)
- Dès 55 ans : 18% (actuellement 18%)
 
Afin d’absorber pleinement les effets de l’abaissement du taux de conversion minimal LPP de 6.8 à 6.0%, l’avoir de vieillesse doit être augmenté de 13.3% selon l’USAM. La somme des bonifications de vieillesse LPP doit donc être portée de 500% (10x7% + 10x10% + 10x15% + 10x18%) à 570% (10x9% + 10x14% + 10x16% + 10x18%), d’où les nouvelles bonifications de vieillesse proposées.
  • Mesures en faveur de la génération de transition. L’USAM entend compenser l’abaissement du taux de conversion minimal essentiellement par le biais de l’augmentation des avoirs de vieillesse. Si cette vision des choses peut convenir pour les jeunes générations, il n’en va pas ainsi pour les groupes d’âge proches de la retraite qui subiront de plein fouet la baisse du taux de conversion minimal. C’est pourquoi, l’USAM propose que les pertes de la génération de transition soient compensées individuellement comme cela était prévu dans le projet Prévoyance vieillesse 2020 (solution centralisée via le Fonds de garantie LPP). L’USAM propose une génération de transition de 10 ans qui pourrait être étendue à 15, voire 20 ans.
  • Pas de modification de la déduction de coordination qui demeure fixée à CHF 24'885 par an. De ce fait, l’USAM entend ne pas faire subir des frais supplémentaires au segment des bas salaires. De son point de vue, une augmentation des charges ne serait pas acceptable pour ces entreprises qui travaillent avec des marges très faibles et ne peuvent répercuter que très partiellement leurs frais supplémentaires sur les consommateurs. Les coûts supplémentaires les obligent à faire des économies, compriment les salaires et aboutissent à des suppressions d’emplois. Quant aux employés qui ne gagnent qu’un salaire modeste, ils ont en général besoin de l’intégralité de leurs revenus et toute déduction supplémentaire est particulièrement douloureuse.
  • Pas d’augmentation des charges sociales.

Le modèle de l’USAM engendre des coûts supplémentaires de l’ordre de 1.5 milliard de francs par an2. De ce fait, son coût est nettement moins élevé que le projet des partenaires sociaux.

 
2Chiffres de l’USAM